20 mai 2009

Biographie espagnole du Roi du Maroc


Ancien correspondant du journal El Pais à Rabat (de 1990 à 1997), Ferran Sales dresse dans son dernier livre un portrait inédit du Roi Mohamed VI.


A partir de ses souvenirs et de ses réflexions, le journaliste décrit des facettes méconnues de la personnalité du Roi actuel du Maroc, avant et après son accession au pouvoir.

Sales entame son livre par un entretien qu’il a effectué avec le prince Moulay Mohamed en 1997. Il explique que la rencontre a été orchestrée par son père Hassan II, dans le cadre d’une stratégie de présentation de son héritier à l’opinion internationale. Le journaliste n’est pas fier de cette rencontre. Les conseillers du palais et notamment André Azoulay, avaient sélectionné les questions et préparé les réponses.

Ferran Sales insiste en suite, dans le chapitre « À la recherche du prince absent », sur le désintérêt du prince et son éloignement des affaires de l’Etat. Il avance même que Mohamed VI, pour des raisons psychologiques et personnelles, ne voulait pas du trône.

L’auteur s’attèle au détails du dossier épineux de la relation entre Mohamed VI et son père. Hassan II alors très malade (en 1995), avait réfléchi à lui céder le pouvoir pour qu’il ne vieillisse pas « prince », comme Charles d’Angleterre. Mais devant le désintérêt du prince, Hassan II le menaça de céder le pouvoir à l’un des deux autres princes (Le frère ou le cousin). Cet incident est la source des blessures profondes au sein de la famille royale, non guéries à ce jour.

Dans les dernières pages de son livre Ferran Sales analyse le nouveau style de gouvernement de Mohamed VI, le « Roi absent », et de ceux qui l’entourent. Pour Hussein Mejdoubi du quotidien londonien Alquds Alarabi, la fin est la partie la plus exaltante du livre. L’auteur y décrit l’absence politique du Roi et ses longs voyages privés à l’étranger. Il se demande si Mohamed VI n’est pas en train de préparer l’opinion à la grande absence, faisant allusion à une monarchie qui dure mais qui ne gouverne pas.



Mohamed VI : El principe que no queria ser rey [« Mohamed VI: Le prince qui ne voulait pas être roi »], Editorial Catarata, Avril 2009, 224 pages.


10 mai 2009

Le génocide arménien dans un roman syrien


Dans Tiflat Alkoulira [« La fillette du choléra »], l’écrivaine syrienne Marie Richou, revient sur l’épreuve terrible du peuple arménien.


Partant de 1890, début de la prise de conscience « indépendantiste » arménienne (dans l‘empire ottoman), elle recense les évènements clés de cette histoire jusqu’au début de la première guerre mondiale, paroxysme du génocide arménien.

A travers le personnage d’Archa, Marie Richou décrit la déportation de femmes, d’enfants et de vieillards jetés sur les sentiers de l’exil criminel. Traquée par la faim, la soif, la maladie et la mort menaçante, Archa confie sa fille à une dame arabe afin de la sauver. Mais les circonstances jetteront dans ses bras la fille d’une autre femme, qui a perdu ses enfants à cause du choléra et son mari (un Aga arménien), tué par les Turques. Des années après les massacres, naît à Alep en Syrie, Laura, la petite fille d’Archa. Elle découvre ce qui s’est passé à travers les souvenirs de sa grand-mère qui raconte cette réalité comme si elle n’était pas la sienne. Dérangée par l’inconscience d’Archa, Laura confronte ses dires aux livres et aux documents historiques pour en tirer la vraie réalité. Marie Richou utilise, ici, le dialogue entre son héroïne Laura, son père et son oncle pour explorer les conditions des déportations et des massacres perpétrés par les Turcs. Le père et l’oncle jouent le rôle des « avocats du diable » cherchant à justifier le passé et exprimant le point de vue turc.

Pour May Bassil du quotidien Al Hayat, l’agencement rationnel des évènements historiques dans ce roman est doté d’un joli souffle narratif et d’une belle langue. Cependant, la critique pense que l’œuvre aurait été d’un rang plus élevé, si l’auteur avait su lier le présent à ce passé que le bourreau tarde à reconnaître.


Marie Richou, Tiflat alkoulira [« La fillette du choléra »], Dar Alsaqi, 2008.

5 mai 2009

Les pharaons, le christianisme et l’islam


En Egypte, la polémique fait rage entre l’Eglise orthodoxe et le gouvernement. En cause ? La question du nombre et donc de la situation des copte dans le pays, sur laquelle reviennent l’historien Ahmed Othman (un musulman) et Mounir Ghabour (un copte) dans Al MassiHiya fi Al Islam.


D’après les estimations, les coptes, descendants des pharaons, oscilleraient entre sept et douze millions (10% à 20% de la population), malgré leur émigration ces dernières années vers le Canada, les Etats-Unis et l’Australie. Mais au delà de l’exactitude de ce chiffre, Ahmed Othman souligne l’« obturation confessionnelle » dont est victime cette communauté. Selon lui, l’émergence de certains discours opposant les Egyptiens en fonction de leurs croyances – on entend par exemple que les coptes chrétiens sont des mécréants - en est la principale cause. Ces « opinions » sont celles des groupes extrémistes de l’islam politique, à qui Al MassiHiya fi Al Islam donne une leçon d’histoire.


« Tout au long de l’histoire d’Egypte, depuis l’arrivée de Amrû ben al-Âs (premier gouverneur musulman d’Egypte nommé en 1245, les citoyens ne se sont jamais définis en tant que chrétiens et musulmans, mais plutôt comme étant tous Egyptiens », explique l’historien au quotidien Al-Hayat. Une utopie pour les coptes qui voient aujourd’hui se restreindre leurs droits les plus légitimes, dans une société contaminée par l’ignorance de l’extrémisme religieux.


Al MassiHiya fi Al Islam est avant tout un livre pédagogique et réconciliateur qui tente l’union nationale égyptienne. Ahmed Othman et Mounir Ghabour ont décidé d’y énoncer certaines vérités au sujet des rapports étroits entre l’islam et le christianisme, afin d’« effacer le malentendu et dénoncer les contradictions».


Al MassiHiya fi Al Islam [« Le christianisme dans l’islam »], Ahmed Othman et Mounir Ghabour, General Egyptian Book Organization, 2009

26 avril 2009

Esclavage moderne

Les derniers maitres de la Martinique est une enquête de Canal + sur le pouvoir des békés dans les Antilles françaises. La modernité touche tous les aspects de la vie dans ces régions, sauf les mentalités et les représentations d'une minorité de déscendants des colons.

8 avril 2009

A la mémoire des bagnards



« Je rêvais de devenir journaliste ou cinéaste, je devins militaire. J’étais petit fils et fils de courtisans, je devins révolutionnaire malgré moi. J’étais play-boy, je devins bagnard. » Ainsi résume Aziz Binebine sa vie marquée par un long séjour dans les geôles du Sahara marocain.

Enterré pendant 18 ans dans un tombeau de six mètres carrés, Binebine est l’un des six survivants du bagne-mouroir d’Hassan II. Parce que cette expérience était pour lui indicible, l’auteur l’a volontairement rayée de sa mémoire. S’il s’est résigné aujourd’hui à l’écrire, c’est pour les autres, ceux qui n’ont pas échappé au cauchemar.


Victime de la manipulation des « putschistes » de Skhirat en 1971 sous la férule du colonel Ababou, Binebine s’était retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment. A l’issue d’un procès arbitraire, le jeune officier fraichement promu est envoyé deux ans à la prison d’Arhemoumou, avant de rejoindre Tazmamart en 1973.


Truffé de bestioles venimeuses, de saletés, de maladies et de puanteurs, l’endroit traquait la vie humaine. Dans le froid et la chaleur extrêmes des saisons, les prisonniers n’avaient pour refuge qu’un paillasson en béton qui rongeait leurs corps. Face aux souffrances, à la folie et à la mort qui rodaient dans les couloirs, Binebine s’est agrippé à la foi et à l’imaginaire. Ayant vécu entre la modernité de l’école française et la tradition de la médina de Marrakech, il s’est improvisé conteur pour ses compagnons du calvaire. Seules ses histoires, inspirées de littérature occidentale, et celles de la précédente vie des autres bagnards, traversaient les murs, transportant des lueurs d’espoir. Mais pendant les longues dix huit années la Faucheuse n’en a épargné que peu.


Tazmamort est un récit-témoignage brut de l’hostilité de l’enfer et les limites de la nature humaine. L’auteur y dépeint le portrait de ceux qui ne l’ont jamais quitté, tout en exposant les réalités de l’époque historique et politique des « années de plomb ». Pour Maati Kabbal dans le quotidien marocain Al-Massaa le texte d’Aziz Binebine réunit tous les ingrédients Shakespeariens : le psychodrame, l’amusement et la moquerie avant de lever le voile sur les images des corps et du sang.


Tazmamort, Aziz Binebine, Editions Denoël, février 2009, 315 pages

2 avril 2009

Macabre confession


Décontractés, un jeune israélien et sa copine discutent chez eux. Leurs visages sont floutés, mais on distingue la bouche et les yeux. Ainsi commence le dernier film d’Avi Mograbi sorti le 18 février dernier en salles. L’air inoffensif, le jeune homme essaie de faire parler sa copine intimidée par la caméra. On croirait qu’il s’agit de sexe ou quelque sujet tabou dont discuteraient, gênés, de jeunes gens. Il n’en est rien, ils parlent de meurtre avec préméditation. Le jeune homme est un ex-soldat d’une unité d’élite du Tsahal, immatriculé Z 32, dont le réveil fut tardif. Il avait participé à une opération punitive en Cisjordanie, lors de laquelle avaient été abattus, de sang froid, deux policiers palestiniens « innocents ». C’est pour avoir exécuté l’un d’entre eux qu’il cherche le pardon. Avec le recul, le soldat commence à prendre conscience de son acte et accepte de témoigner. Cependant c’est sa copine qui pose les bonnes questions et appréhende le mieux l’ampleur de cette réalité. Raison pour laquelle, peut-être, le réalisateur a choisi d’intégrer ces scènes dans le film : il leur avait confié sa caméra pour qu’ils se filment lorsqu’ils le souhaitaient.


A l’instar de toute la filmographie de Mograbi, Z 32 désigne un documentaire, une fiction mais aussi le chantier même de sa réalisation. Il y développe une réflexion déontologique sur les limites du travail cinématographique, en s’interrogeant sur l’opportunité et la manière de filmer ce récit de crime de guerre. Une première pour le réalisateur. Car il y a là une tension entre ses méthodes de travail habituelles et le matériau de ce film. Membre de l’association Shovrim Shtika (« Brisons le silence »), qui collecte les témoignages d’anciens soldats du Tsahal, il en a écouté des dizaines mais a fini par choisir Z 32. La contrainte de couvrir son visage devient un questionnement moral. Mograbi expérimente, lui-même, l’idée d’un bas noir sur la tête, puis l’abandonne. Il finira par couvrir le visage du témoin à coup de pixels. Peu à peu la fumée virtuelle qui couvre les visages des deux personnages (le soldat et sa copine) laissera place à des masques numériques. A mi-parcours, ceux-ci deviennent de plus en plus sophistiqués mais restent délibérément imparfaits. Glissant ainsi une superficialité de l’inhumain qui trouble face au discours du soldat. Mograbi sait ce qu’il fait.


Dès les premiers instants du film une ambiance morose s’installe. Ainsi qu’une tragédie grecque, les chœurs de Mograbi et son orchestre viendront assombrir le tableau. Chantant en blues, son dégoût et celui de sa femme qui ne voulait pas que cet « assassin » rentre chez elle, il chante aussi le débâclage de la société israélienne. Le jeune homme en manque de maturité (qui cherche le pardon), tel un adolescent qui a perpétré une bêtise, ne semble pas saisir complètement ce qu’il confesse. Il se rend à l’endroit même de son crime mais reste incapable de dégager l’émotion, le regret et le malheur qui hantent le coupable. Sa petite amie, elle, n’ose même pas raconter cette histoire. Elle pose à peine des questions au sujet de la personne de la victime, de sa famille et de son droit de vivre. Réticente vis-à-vis du soldat, elle hésite à lui dire ce qu’il est en réalité : « un assassin ».


Z 32 est un film qui dérange et prend possession de son spectateur. C’est là où il fait mal. Il exhibe une réalité à laquelle on pense s’attendre. Hélas, non ! Aucune image de guerre ou scène de violence, simplement un discours qui raconte une histoire. Loin d’être conscient de ce dont il parle, le soldat peint la répugnance de son acte. Pire encore. Il décrit le plaisir dont il a joui au moment d’exécuter le « Palestinien ». Entrainés comme les chiens de combats d’Amours chiennes (2000) d’Alejandro Gonzalez Inarritu, les soldats sont en manque de combats et de pratique. Lorsque le moment se présente, ils sont tels des machines de guerre dénuées de raison et d’humanité. La manipulation de la culture militaire du Tsahal surplombe de loin la sauvagerie du terrorisme du XXIe siècle. La vérité du film est bien celle là : comment les opportunistes d’une guerre, qui n’a plus de sens, exploitent la jeunesse d’Israël ?


Si l’on veut suivre Avi Mograbi, il faut connaître son travail artistique et son positionnement politique. Pour un seul de mes deux yeux (2005), est truffé d’images volées à une réalité cadenassée par la guerre médiatique du sens ; Août (2003), miroir de l’agressivité israélienne, montrait comment la violence revenait en boomerang ; Et bien avant, Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon (1997), l’avait révélé cinéaste-acteur de talent. Z 32, lui, est la confirmation d’un style singulier. D’abord par le chamboulement des codes de la réalisation. Ensuite, par la continuité de l’engagement militant et politique, de celui qui a osé ouvrir les portes du cinéma israélien aux vérités d’une société en manque d’autocritique. Avi Mograbi ne croit pas au miracle de « paix » israélo-palestinienne, il se résigne pour le moment à en rêver.

18 février 2009

A Dieu démocratie, bonjour Sarkocratie!


Nicolas Sarkozy a fait honneur à la France, lors de sa présidence de l’Union Européenne. Tout le monde le lui reconnaît ! N’ayez crainte, le Président de la République n’a pas oublié ses « compatriotes ». Le meilleur est à venir. Annoncée dans une hâte « gesticulante », à la surprise du gouvernement et des députés de la majorité, la réforme de l’audiovisuel public est effective. Dans le cadre de la réforme de la constitution, le Président a voulu conférer plus de pouvoir au parlement (plutôt à la majorité de droite). Mais notre « hyper-président » s’est réservé le droit de dicter son idéologie à travers France Télévision. Désormais il nommera le président du groupe public. C’est tout ? Non pas seulement. Cette manœuvre ne peut être sans quelques cadeaux pour ses amis des groupes privés. Il le leur doit bien tout de même. Aujourd’hui, le 5 janvier 2009, la publicité quitte partiellement les programmes des chaînes publiques pour aller trouver refuge sur les réseaux du privé. C’est bon, on a compris : « enrichir les riches et appauvrir les pauvres » est la devise de Nicolas Sarkozy. Les réductions budgétaires concernent, en effet, tous les secteurs de la culture. Vous a-t-on consulté ? Probablement pas. Pourquoi. Parce que vous aurez encore plus de mal à accéder à la culture. Le grand saut en arrière de la démocratie française atteste d’une chose : le « sarkozisme » s’installera pour longtemps !

17 février 2009

Française avant tout


« Sans commentaire ! », elle est noire et surtout pas « black ». Française et non plus Française d’origine sénégalaise. Rokhaya Diallo est très attentive aux mots et chasse les préjugés ethno-raciaux qu’ils véhiculent. Sa méthode ? L’humour et l’ironie. A trente ans elle est et responsable d’achat des programmes d’une chaîne de télévision du câble et présidente (fondatrice) de l’association antiraciste des Indivisibles.

Née à Paris, de parents immigrés dans les années soixante-dix, Rokhaya grandit à La Courneuve. Pourtant elle se heurte à des « Tu viens d’où ? » ou des «Ah ! Tu parles très bien français ». On s’étonne qu’elle soit musulmane : «Ah ! On ne dirait pas ! ». Jusqu’à la fin de son adolescence, elle ne s’imagine pas, un jour, se poser la question des origines et de la couleur de peau. Cette prise de conscience des clichés ambiants et du « racisme ordinaire », qui l’exaspèrent tant, viendra plus tard.

Brillante élève, Rokhaya Diallo étudie le droit à Assas. En 2000, elle intègre une école de commerce et obtient un master en marketing dans l’industrie audiovisuelle. A la fin de ses études elle s’aperçoit que « chez la plupart de [ses] interlocuteurs, le fait d’être noire et d’origine populaire posait problème. Leur regard [l’] associait à un imaginaire et des stéréotypes gênants ». Révoltée, qu’on ne l’aborde « avant tout [que] comme une noire », Rokhaya choisit le combat.

Suite à son passage tremplin, à la présidence du conseil local de la jeunesse à La Courneuve, elle participe au mouvement féministe Mix-Cités, puis milite pour l’association Attac. Son projet se concrétise en 2006, lorsqu’elle lance avec ses amis le mouvement du nom de super héros les Indivisibles. L’allusion est forte : la République française est « une et indivisible ». Ce groupe soudé, d’une centaine d’adhérents « motivés par l’esprit d’aventure », a l’ambition de « déconstruire les préjugés ethno-raciaux et notamment ceux qui ont tendances à exclure les non-blancs de la citoyenneté et de l’identité française ». En réalité, la jeune femme n’a jamais été confrontée au racisme violent. Ce qui la dérange ? Ce sont ces petites phrases, souvent non intentionnelles, qui véhiculent le racisme ordinaire. Ce sont ces « regards différencialistes » qu’elle ne supporte pas sentir.

Pour Rokhaya il y a un problème d’ « ignorance ». Il faut réveiller les consciences. Son action se veut pédagogique et s’étend aux entreprises et aux écoles. Elle souhaite travailler sur les manuels scolaires pour évacuer des représentations parfois trop blanches. Mais pas seulement. Elle veut aussi s’attaquer aux préjugés qui se construisent chez les jeunes des banlieues. Ceux là aussi il faut les éduquer. « Eux aussi véhiculent des clichés : celui du Français blanc, riche et parisien par exemple ». De part et d’autre se mettent en place des représentations de « l’autre ». Son association mène « des actions préventives » qui s’adressent à tous.

Rokhaya veut en découdre avec « ces raccourcis [qui] sont aussi idiots que néfastes dans l’inconscient collectif ». Pour faire passer son message, elle mise sur le web. Ses moyens ? Des dessins animés, des textes et une charte drôle et très ironique. Les Indivisibles manient l’absurde avec humour : « Le mot noir est garantit 100% sans danger. Il fait même partie des mots les plus sûrs de la langue française après les mots tarte aux pommes et rhododendron ».

Fan de Gad Elmaleh, nourrie à la BD et aux Mangas, Rokhaya Diallo croie au pouvoir de l’animation et de l’humour ironique pour changer les « représentations mentales ». Elle mène une action sereine et ne veut pas « accuser, culpabiliser ou moraliser ». Loin de la rancune et de la haine, son discours est avant tout pacifiste. Malgré le fait de devoir s’expliquer devant des propos, comme ceux d’Eric Zemmour, lors de l’émission Paris-Berlin sur Arte, le 13 novembre dernier. Le journaliste du Figaro lui demande pourquoi ses parents ne lui avaient pas donné un prénom français. Calmement elle répond : « Si je m’étais appelée Isabelle, aurais-je été considérée comme plus Française ? Je serai quand même noire. Je ne pense pas que cela aurait inversé la perception que les gens ont de moi. ».

Elle prend un air désolé lorsqu’elle raconte la difficulté de son frère, diplômé en chimie et qui peine à trouver un travail. Confronté tous les jours à des contrôles policiers, parfois provocateurs. Son père ouvrier et sa mère styliste ne comprennent pas cette situation. Ils n’avaient pas ce problème d’identité, eux, ils se disaient qu’ils n’étaient pas « chez eux ». Tandis que leur fille appel à cesser « de considérer l’identité française comme quelque chose de monolithique ». Elle lui appartient à elle aussi de se sentir Française. Eduquée dans les valeurs de la République, elle est dans son droit de citoyenneté. Ses initiatives attestent d’ailleurs de son intelligence. Au lieu de tomber dans le choc des cultures et des identités, elle s’est donné pour mission de les combattre. Sa place n’est pas ailleurs, elle la connaît très bien et elle n’est pas prête de la quitter.

Vidéos des Indivisibbles

5 janvier 2009

Devoir de mémoire et 17 octobre noir


Artiste et reporter photo, Thomas Salva est issu d’une formation en cinéma puis en photographie à l’Ecole Des Gobelins. Il vient de signer une série de photos au tour du 17 octobre 1961, intitulée « Ce soir là, il pleuvait... ».


Pourquoi le choix de ce thème ? Quelle a été votre motivation première ?

Ce travail est né d’une méconnaissance de l’événement, que j’ai découvert à travers une émission radio à la date anniversaire. Je connaissais éventuellement ce qui s’était passé à Charonne ou en Algérie mais pas cette nuit là. J’ai été curieux, j’ai eu envie de creuser un peu, j’ai lu des livres, visionné des films. Delà est née une volonté quasi militante d’essayer de faire connaître ce 17 octobre qui reste malgré tout décisif et déclencheur dans notre histoire. La question est pourquoi faudrait-il attendre soixante ans pour reconnaître un tel massacre, lorsqu’on voit les dégâts que cela peut engendrer dans les générations d’immigrés et dans notre propre culture commune.


Que voulez-vous montrer à travers cette série de photos ?

En 1961 le préfet de Paris Maurice Papon s’engageait dans une répression massive contre le FLN et l’OAS qui organisaient des attentats contre la police. Cependant la manifestation du 17 octobre 1961 s’inscrivait dans une démarche pacifique. L’une des personnes que j’ai photographiée m’a raconté pendant quatre heure sles atrocités qu’elle avait vécues aux cotés d’autres manifestants algériens. La non-reconnaissance est une sorte de scission entre deux populations et deux cultures. Elle participe d’une haine qui se développe parfois dans certains recoins de notre société. C’est aussi cela mon combat et ce sur quoi je voulais revenir dans cette série.


Que signifiez-vous par « Ce soir là, il pleuvait… »?

C’était un peu difficile de trouver un titre. D’abord de manière anecdotique le 17 octobre 1961 il pleuvait. Je suis parti de là puis je me suis dit il pleuvait des cordes mais aussi des corps dans le canal Saint Martin et au -dessus du pont de Saint Michel. Disons que j’avais envie de créer une espèce d’intrigue au tour de cette phrase, laisser une ouverture d’interprétation au public.


Vous avez beaucoup travaillé sur le portrait, est-ce que cela justifie en partie votre choix photographique pour cette série ?

Le portrait est essentiel dans mon travail. Je ne pouvais pas me passer de témoignages. Je n’ai pas commencé mon sujet en me disant que je vais aller à la rencontre de manifestants de cette époque, c’est venu au fur et mesure. La photo frontale et horizontale représente tout un processus technique dans ma démarche. C’est pourquoi je ne suis pas toujours un bon client de la photo contemporaine. Je suis un peu vieille école là dessus. C’est une question de sensibilité esthétique, j’aime bien poser les choses telles qu’elles sont.


Ce jeu sur le lieu, la mémoire et le portrait représente-t-il un choix artistique ou un choix d’enquête ?

Ici la frontière entre l’enquête et le travail artistique reste assez floue. Je suis parti d’un choix d’enquête, puis la forme est née naturellement. J’ai adopté une forme avec laquelle je suis à l’aise et dans laquelle je me reconnais. Ce que j’aime dans la photo c’est le questionnement sur le temps et sur la mémoire. J’aime questionner les lieux qui portent une histoire à travers le symbole. Au départ je voulais revenir sur les lieux des massacres et essayer de voir et de ressentir les cicatrices de l’événement. Du coup je n’étais plus dans l’investigation mais plutôt dans une démarche plasticienne.


Comment vous avez réussi à retrouver ces personnes ? Quelles ont été les contraintes de ce travail ?

J’ai rencontré Jean-Luc Einaudi auteur de « La bataille de Paris » qui a creusé cet événement. Il m’a fourni quelques contacts qui m’ont permis d’en retrouver d’autres. Cela a été un peu difficile parce que l’événement est complexe dans la mémoire des Algériens. Il y a une espèce de « chape de plomb » qui étouffe ce 17 octobre, même après l’indépendance de l’Algérie. Il y a certaines personnes qui veulent et d’autres qui ne veulent pas parler.

Par ailleurs j’ai eu un refus de la part du cimetière parisien de Thiais pour une demande de photographier les tombes des morts de cet événement et des registres d’inhumation. Ce qui reflète très bien l’état d’esprit du pouvoir sur cette question.


Pourquoi cette parution dans L’Humanité ?

Cette parution du 17 octobre 2008 était une sorte de commémoration, suite à ma demande et surtout après avoir frappé à la porte de plusieurs autres journaux (Le monde, Libération…) qui ont refusé ma proposition. En même temps l’intérêt pour L’Humanité était aussi leur implication dans cette histoire. Le fait choquant est cette indifférence des journaux à l’époque et encore aujourd’hui.


Quelle sera la suite de ce travail ?

J’ai participé à une manifestation de commémoration avec une trentaine de personnes le soir du 17 octobre 2008 sur le pont Saint Michel. Les gens passaient sans savoir de quoi il s’agissait. C’est pour cela aussi que mon envie est militante. Je souhaite continuer mon travail et aller plus loin pour pouvoir en faire une exposition pour la date anniversaire en 2011. Je souhaite présenter un sujet encore plus complet pour les cinquante ans de ce massacre. Le but est d’enrichir ce corpus pour mieux montrer cette réalité cachée.