Artiste et reporter photo, Thomas Salva est issu d’une formation en cinéma puis en photographie à l’Ecole Des Gobelins. Il vient de signer une série de photos au tour du 17 octobre 1961, intitulée « Ce soir là, il pleuvait... ».
Pourquoi le choix de ce thème ? Quelle a été votre motivation première ?
Ce travail est né d’une méconnaissance de l’événement, que j’ai découvert à travers une émission radio à la date anniversaire. Je connaissais éventuellement ce qui s’était passé à Charonne ou en Algérie mais pas cette nuit là. J’ai été curieux, j’ai eu envie de creuser un peu, j’ai lu des livres, visionné des films. Delà est née une volonté quasi militante d’essayer de faire connaître ce 17 octobre qui reste malgré tout décisif et déclencheur dans notre histoire. La question est pourquoi faudrait-il attendre soixante ans pour reconnaître un tel massacre, lorsqu’on voit les dégâts que cela peut engendrer dans les générations d’immigrés et dans notre propre culture commune.
Que voulez-vous montrer à travers cette série de photos ?
En 1961 le préfet de Paris Maurice Papon s’engageait dans une répression massive contre le FLN et l’OAS qui organisaient des attentats contre la police. Cependant la manifestation du 17 octobre 1961 s’inscrivait dans une démarche pacifique. L’une des personnes que j’ai photographiée m’a raconté pendant quatre heure sles atrocités qu’elle avait vécues aux cotés d’autres manifestants algériens. La non-reconnaissance est une sorte de scission entre deux populations et deux cultures. Elle participe d’une haine qui se développe parfois dans certains recoins de notre société. C’est aussi cela mon combat et ce sur quoi je voulais revenir dans cette série.
Que signifiez-vous par « Ce soir là, il pleuvait… »?
C’était un peu difficile de trouver un titre. D’abord de manière anecdotique le 17 octobre 1961 il pleuvait. Je suis parti de là puis je me suis dit il pleuvait des cordes mais aussi des corps dans le canal Saint Martin et au -dessus du pont de Saint Michel. Disons que j’avais envie de créer une espèce d’intrigue au tour de cette phrase, laisser une ouverture d’interprétation au public.
Vous avez beaucoup travaillé sur le portrait, est-ce que cela justifie en partie votre choix photographique pour cette série ?
Le portrait est essentiel dans mon travail. Je ne pouvais pas me passer de témoignages. Je n’ai pas commencé mon sujet en me disant que je vais aller à la rencontre de manifestants de cette époque, c’est venu au fur et mesure. La photo frontale et horizontale représente tout un processus technique dans ma démarche. C’est pourquoi je ne suis pas toujours un bon client de la photo contemporaine. Je suis un peu vieille école là dessus. C’est une question de sensibilité esthétique, j’aime bien poser les choses telles qu’elles sont.
Ce jeu sur le lieu, la mémoire et le portrait représente-t-il un choix artistique ou un choix d’enquête ?
Ici la frontière entre l’enquête et le travail artistique reste assez floue. Je suis parti d’un choix d’enquête, puis la forme est née naturellement. J’ai adopté une forme avec laquelle je suis à l’aise et dans laquelle je me reconnais. Ce que j’aime dans la photo c’est le questionnement sur le temps et sur la mémoire. J’aime questionner les lieux qui portent une histoire à travers le symbole. Au départ je voulais revenir sur les lieux des massacres et essayer de voir et de ressentir les cicatrices de l’événement. Du coup je n’étais plus dans l’investigation mais plutôt dans une démarche plasticienne.
Comment vous avez réussi à retrouver ces personnes ? Quelles ont été les contraintes de ce travail ?
J’ai rencontré Jean-Luc Einaudi auteur de « La bataille de Paris » qui a creusé cet événement. Il m’a fourni quelques contacts qui m’ont permis d’en retrouver d’autres. Cela a été un peu difficile parce que l’événement est complexe dans la mémoire des Algériens. Il y a une espèce de « chape de plomb » qui étouffe ce 17 octobre, même après l’indépendance de l’Algérie. Il y a certaines personnes qui veulent et d’autres qui ne veulent pas parler.
Par ailleurs j’ai eu un refus de la part du cimetière parisien de Thiais pour une demande de photographier les tombes des morts de cet événement et des registres d’inhumation. Ce qui reflète très bien l’état d’esprit du pouvoir sur cette question.
Pourquoi cette parution dans L’Humanité ?
Cette parution du 17 octobre 2008 était une sorte de commémoration, suite à ma demande et surtout après avoir frappé à la porte de plusieurs autres journaux (Le monde, Libération…) qui ont refusé ma proposition. En même temps l’intérêt pour L’Humanité était aussi leur implication dans cette histoire. Le fait choquant est cette indifférence des journaux à l’époque et encore aujourd’hui.
Quelle sera la suite de ce travail ?
J’ai participé à une manifestation de commémoration avec une trentaine de personnes le soir du 17 octobre 2008 sur le pont Saint Michel. Les gens passaient sans savoir de quoi il s’agissait. C’est pour cela aussi que mon envie est militante. Je souhaite continuer mon travail et aller plus loin pour pouvoir en faire une exposition pour la date anniversaire en 2011. Je souhaite présenter un sujet encore plus complet pour les cinquante ans de ce massacre. Le but est d’enrichir ce corpus pour mieux montrer cette réalité cachée.
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