« Je rêvais de devenir journaliste ou cinéaste, je devins militaire. J’étais petit fils et fils de courtisans, je devins révolutionnaire malgré moi. J’étais play-boy, je devins bagnard. » Ainsi résume Aziz Binebine sa vie marquée par un long séjour dans les geôles du Sahara marocain.
Enterré pendant 18 ans dans un tombeau de six mètres carrés, Binebine est l’un des six survivants du bagne-mouroir d’Hassan II. Parce que cette expérience était pour lui indicible, l’auteur l’a volontairement rayée de sa mémoire. S’il s’est résigné aujourd’hui à l’écrire, c’est pour les autres, ceux qui n’ont pas échappé au cauchemar.
Victime de la manipulation des « putschistes » de Skhirat en 1971 sous la férule du colonel Ababou, Binebine s’était retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment. A l’issue d’un procès arbitraire, le jeune officier fraichement promu est envoyé deux ans à la prison d’Arhemoumou, avant de rejoindre Tazmamart en 1973.
Truffé de bestioles venimeuses, de saletés, de maladies et de puanteurs, l’endroit traquait la vie humaine. Dans le froid et la chaleur extrêmes des saisons, les prisonniers n’avaient pour refuge qu’un paillasson en béton qui rongeait leurs corps. Face aux souffrances, à la folie et à la mort qui rodaient dans les couloirs, Binebine s’est agrippé à la foi et à l’imaginaire. Ayant vécu entre la modernité de l’école française et la tradition de la médina de Marrakech, il s’est improvisé conteur pour ses compagnons du calvaire. Seules ses histoires, inspirées de littérature occidentale, et celles de la précédente vie des autres bagnards, traversaient les murs, transportant des lueurs d’espoir. Mais pendant les longues dix huit années
Tazmamort est un récit-témoignage brut de l’hostilité de l’enfer et les limites de la nature humaine. L’auteur y dépeint le portrait de ceux qui ne l’ont jamais quitté, tout en exposant les réalités de l’époque historique et politique des « années de plomb ». Pour Maati Kabbal dans le quotidien marocain Al-Massaa le texte d’Aziz Binebine réunit tous les ingrédients Shakespeariens : le psychodrame, l’amusement et la moquerie avant de lever le voile sur les images des corps et du sang.
Tazmamort, Aziz Binebine, Editions Denoël, février 2009, 315 pages