2 avril 2009

Macabre confession


Décontractés, un jeune israélien et sa copine discutent chez eux. Leurs visages sont floutés, mais on distingue la bouche et les yeux. Ainsi commence le dernier film d’Avi Mograbi sorti le 18 février dernier en salles. L’air inoffensif, le jeune homme essaie de faire parler sa copine intimidée par la caméra. On croirait qu’il s’agit de sexe ou quelque sujet tabou dont discuteraient, gênés, de jeunes gens. Il n’en est rien, ils parlent de meurtre avec préméditation. Le jeune homme est un ex-soldat d’une unité d’élite du Tsahal, immatriculé Z 32, dont le réveil fut tardif. Il avait participé à une opération punitive en Cisjordanie, lors de laquelle avaient été abattus, de sang froid, deux policiers palestiniens « innocents ». C’est pour avoir exécuté l’un d’entre eux qu’il cherche le pardon. Avec le recul, le soldat commence à prendre conscience de son acte et accepte de témoigner. Cependant c’est sa copine qui pose les bonnes questions et appréhende le mieux l’ampleur de cette réalité. Raison pour laquelle, peut-être, le réalisateur a choisi d’intégrer ces scènes dans le film : il leur avait confié sa caméra pour qu’ils se filment lorsqu’ils le souhaitaient.


A l’instar de toute la filmographie de Mograbi, Z 32 désigne un documentaire, une fiction mais aussi le chantier même de sa réalisation. Il y développe une réflexion déontologique sur les limites du travail cinématographique, en s’interrogeant sur l’opportunité et la manière de filmer ce récit de crime de guerre. Une première pour le réalisateur. Car il y a là une tension entre ses méthodes de travail habituelles et le matériau de ce film. Membre de l’association Shovrim Shtika (« Brisons le silence »), qui collecte les témoignages d’anciens soldats du Tsahal, il en a écouté des dizaines mais a fini par choisir Z 32. La contrainte de couvrir son visage devient un questionnement moral. Mograbi expérimente, lui-même, l’idée d’un bas noir sur la tête, puis l’abandonne. Il finira par couvrir le visage du témoin à coup de pixels. Peu à peu la fumée virtuelle qui couvre les visages des deux personnages (le soldat et sa copine) laissera place à des masques numériques. A mi-parcours, ceux-ci deviennent de plus en plus sophistiqués mais restent délibérément imparfaits. Glissant ainsi une superficialité de l’inhumain qui trouble face au discours du soldat. Mograbi sait ce qu’il fait.


Dès les premiers instants du film une ambiance morose s’installe. Ainsi qu’une tragédie grecque, les chœurs de Mograbi et son orchestre viendront assombrir le tableau. Chantant en blues, son dégoût et celui de sa femme qui ne voulait pas que cet « assassin » rentre chez elle, il chante aussi le débâclage de la société israélienne. Le jeune homme en manque de maturité (qui cherche le pardon), tel un adolescent qui a perpétré une bêtise, ne semble pas saisir complètement ce qu’il confesse. Il se rend à l’endroit même de son crime mais reste incapable de dégager l’émotion, le regret et le malheur qui hantent le coupable. Sa petite amie, elle, n’ose même pas raconter cette histoire. Elle pose à peine des questions au sujet de la personne de la victime, de sa famille et de son droit de vivre. Réticente vis-à-vis du soldat, elle hésite à lui dire ce qu’il est en réalité : « un assassin ».


Z 32 est un film qui dérange et prend possession de son spectateur. C’est là où il fait mal. Il exhibe une réalité à laquelle on pense s’attendre. Hélas, non ! Aucune image de guerre ou scène de violence, simplement un discours qui raconte une histoire. Loin d’être conscient de ce dont il parle, le soldat peint la répugnance de son acte. Pire encore. Il décrit le plaisir dont il a joui au moment d’exécuter le « Palestinien ». Entrainés comme les chiens de combats d’Amours chiennes (2000) d’Alejandro Gonzalez Inarritu, les soldats sont en manque de combats et de pratique. Lorsque le moment se présente, ils sont tels des machines de guerre dénuées de raison et d’humanité. La manipulation de la culture militaire du Tsahal surplombe de loin la sauvagerie du terrorisme du XXIe siècle. La vérité du film est bien celle là : comment les opportunistes d’une guerre, qui n’a plus de sens, exploitent la jeunesse d’Israël ?


Si l’on veut suivre Avi Mograbi, il faut connaître son travail artistique et son positionnement politique. Pour un seul de mes deux yeux (2005), est truffé d’images volées à une réalité cadenassée par la guerre médiatique du sens ; Août (2003), miroir de l’agressivité israélienne, montrait comment la violence revenait en boomerang ; Et bien avant, Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon (1997), l’avait révélé cinéaste-acteur de talent. Z 32, lui, est la confirmation d’un style singulier. D’abord par le chamboulement des codes de la réalisation. Ensuite, par la continuité de l’engagement militant et politique, de celui qui a osé ouvrir les portes du cinéma israélien aux vérités d’une société en manque d’autocritique. Avi Mograbi ne croit pas au miracle de « paix » israélo-palestinienne, il se résigne pour le moment à en rêver.

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